Le transfert des restes d'Albert Camus au Panthéon est compromis en raison de l'opposition de Jean, le fils de l'écrivain. Nicolas Sarkozy a conscience qu'il est en passe de perdre la partie. "On va voir", commente laconiquement l'Elysée lundi 23 novembre. Selon l'entourage de Jean Camus, ce dernier estime qu'une telle décision est un "contresens" sur la vie de l'auteur de L'Homme révolté. Il craint une "récupération" de son père par M. Sarkozy, ajoute cette source. Jean Camus n'a pas pris position publiquement. "S'il ne le veut pas, cela ne se fera pas", concède un conseiller de l'Elysée.
Pour le convaincre d'accepter la "panthéonisation" de son père, cinquante ans après sa mort accidentelle le 4 janvier 1960, Catherine Pégard, conseillère de M. Sarkozy, a rencontré Jean Camus jeudi 12 novembre puis vendredi 20, à Paris, au lendemain des révélations du Monde sur l'intention présidentielle, qui ont pris de court l'Elysée, poursuit l'entourage de Jean Camus. Mme Pégard, qui n'a pas répondu à nos appels, a aussi transmis une invitation du chef de l'Etat. "J'ai déjà pris contact avec les membres de sa famille. J'ai besoin de leur accord", a déclaré M. Sarkozy, jeudi 19 novembre.
Le laisser à Lourmarin
La question est de savoir si Jean Camus, qui vit dans la discrétion et est assisté dans la gestion de son héritage, peut s'opposer à un transfert des restes de son père. "Je ne suis pas juriste", répond sa soeur jumelle, Catherine, jointe par Le Monde. Cette dernière, qui gère les droits moraux de son père, est aussi réservée. "C'est compliqué affectivement. Cela met le coeur en paix de cueillir des olives", précisait-elle samedi dans son jardin. Dans la soirée, elle a fait part de son désarroi sur France Inter. "Je ne sais pas. C'est quelqu'un qui essayait de parler pour tous ceux qui n'avaient pas la parole. De ce point de vue-là, c'est un beau symbole", explique Catherine Camus, avant d'ajouter : "Il était claustrophobe. On sait qu'il n'aimait pas les grands honneurs. C'est pour cela que la question n'est pas simple." Albert Camus aurait accepté le prix Nobel de littérature en 1957 pour des raisons financières et pour répondre aux attaques sur l'Algérie, dont il était natif.
Olivier Todd, auteur de la biographie du philosophe de l'absurde, conteste le transfert. "On s'apprête à rebarbouiller l'icône", pestait-il dans le Monde du 21 novembre. "Je préfère qu'on laisse Camus à Lourmarin", dans le Lubéron, nous déclare Jean Daniel, fondateur du Nouvel Observateur, ami de l'écrivain et de sa fille. "C'est un lieu qu'il avait étudié, chanté, qui l'avait rapproché de l'Algérie." Jean Daniel nie avoir pris la tête d'un comité de parrainage ou vouloir prononcer l'éventuel discours d'entrée dans le temple républicain. Il juge "le caractère écrasant de la consécration" contraire aux valeurs de Camus. "Camus, c'est l'auteur de L'Homme révolté, l'héroïsme de la mesure. Je ne vois pas le Panthéon glorifiant l'héroïsme de la mesure. Camus a été totalement libertaire. Jamais le reniement du totalitarisme ne l'a fait rejoindre le centre ou la droite."
Arnaud Leparmentier
Article paru dans l'édition du 24.11.09